La preuve

"Pourquoi voulez-vous m’épouser ?

La question était posée avec calme, sans la moindre intention de défi comme sans la moindre arrière-pensée d’amertume.

Lionel de Montjoie, qui ne manquait certes pas d’aplomb, s’en trouva tout d’abord vaguement déconcerté, puis, comme il regardait Guillemette non plus tant pour la voir cette fois que pour la comprendre, il pensa qu’elle avait, avec les fines perfections d’une statuette précieuse, la fraîcheur saine et printanière des lilas dont le parfum délicat et grisant montait du jardin en fleurs ; qu’elle n’était pas, sans doute, plus difficile à comprendre que la plupart des femmes et qu’elle était beaucoup plus agréable à regarder.

Cette constatation lui rendit son équilibre.

— Il y a dix jours, j’étais à Paris, oui, mademoiselle, et, n’étant plus revenu à Montjoie depuis des siècles, je ne me rappelais qu’assez confusément, je l’avoue, la nièce de monsieur Jacquemin Rousseau, une fillette, jadis aperçue… à l’église peut-être, dans son uniforme de pensionnaire. Mais il y a déjà toute une semaine que j’ai été présenté à une jeune fille délicieuse… une inconnue pour moi, très certainement ! Et il ne me fallait pas un si long espace de temps, je vous assure, pour sentir que, si j’avais pu ignorer la petite Guillemette, je n’oublierais jamais mademoiselle Guillemette Rousseau…"